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Confronter les données iconographiques et archéologiques : le cas du monastère de Cormery en Touraine

Par Thomas Pouyet, ingénieur de recherche CNRS contractuel, chercheur associé CITERES-LAT

Le monastère de Cormery a été fondé en 791 par Ithier, abbé de Saint-Martin de Tours. Il est situé à une vingtaine de kilomètres de Tours, dans la vallée de l’Indre qui est un affluent de la Loire. Cet établissement était au départ une simple cella monastique dépendante de la grande collégiale tourangelle. Les vestiges des bâtiments monastiques de Cormery sont assez bien conservés au sein du village actuel, ce qui permet d’établir des comparaisons avec les sources iconographiques produites à l’époque moderne, notamment la représentation du Monasticon Gallicanum (fig. 1), la vue de Gaignères (fig. 4) ou encore deux plans conservés aux Archives Nationales : le plan n°1 attribué à Dom Journeaux (fig. 2), daté avec certitude de 1674 et le plan n°2 qui remonterait à 1646 (Mauret-Cribellier 1994) (fig. 3) et serait donc antérieur à l’entrée du monastère dans la congrégation de Saint-Maur en 1662. Le Cartulaire de Cormery publié au 19e siècle par l’abbé Bourassé constitue le principal recueil de sources sur l’abbaye (Bourasse 1861). A l’origine, il s’agit d’un recueil de transcriptions des chartes médiévales de l’abbaye réalisé par le prieur Joachim Périon au cours du 16e siècle à partir duquel deux histoires furent rédigées au siècle d’après : une longue Historia Cormaricensis par Dom Gaigneron en 1666 et un travail synthétique de quelques feuillets destinés à la réalisation du Monasticon Benedictinum en 1680 par Dom Gilbert Gérard.

L’église abbatiale de Cormery

Le croisement des sources archéologiques, iconographiques et des textes a été fondamental pour restituer l’organisation architecturale de l’église abbatiale. L’organisation interne de l’église constitue un exemple très parlant étant donné que celle-ci a été en grande partie détruite. Il est possible de restituer grâce aux documents de l’époque moderne un plan à trois vaisseaux, une nef composée d’un vaisseau central entouré de deux bas-côtés qui formaient six travées, un transept saillant qui ouvrait sur un chevet doté de deux chapelles latérales et de trois chapelles échelonnées.

Le transept de l’église abbatiale présente des vestiges relativement bien conservés – comparés à la nef ou au chevet – la croisée a été détruite mais les bras nord et sud ont été conservés et réoccupés au cours des 19e-20e siècles. Les sources écrites évoquent l’effondrement de ce transept au 13e siècle, suivi d’une importante phase de reconstruction – un scénario très probable d’après les résultats de l’étude des sources architecturales et matérielles – même si les vestiges renferment encore de nombreux éléments de l’église romane.

La fouille de cet espace a permis de mettre au jour de nombreux fragments de vitraux que l’on peut associer, sur la gravure du Monasticon Gallicanum, aux deux doubles baies divisées par des lancettes et surmontées d’oculi, eux-mêmes surmontés par une rose avec ces vitraux. Les fragments de verre retrouvés sont peints à la grisaille et présentent de nombreux motifs : tiges de végétaux, fleurs trilobées et même une fleur de lys tandis que le remplissage des formes est réalisé avec des motifs de cages à mouches caractéristiques du 13e siècle. Le corpus de pièces présente une bonne homogénéité du point de vue des matériaux et des motifs. Ces éléments devaient être situés sur les côtés du vitrail et encadrer des figures historiées.

Un édifice appelé la tour Saint-Jean, en forme de fer à cheval, fut construit contre le transept sud de l’église au cours du 15e siècle ; la vocation défensive de ce bâtiment est assez marquée: base talutée, mur épais et présence de trois archères-canonnières. L’accès à cette tour s’effectuait probablement depuis le transept au 15e siècle et non par l’extérieur, comme aujourd’hui où les niveaux de circulations sont différents. L’absence de représentation de la tour Saint-Jean sur les plans et gravures du 17e siècle pourrait être liée à la fonction militaire du bâtiment.

La morphologie du chevet, à trois chapelles échelonnées, est connue grâce aux plans de l’époque moderne et aux vestiges en élévation de la chapelle Saint-Symphorien qui fut édifiée au 13e siècle. A l’aide des plans et du cartulaire qui mentionne les fondations de chapelles, il a été possible de restituer l’apparition des nouvelles dédicaces entre le 11e et le 17e siècle et de localiser les autels et les chapelles. Le développement des messes individuelles en Occident à partir des 13e-14e siècles semble avoir fortement marqué la morphologie du chœur architectural et du chevet de l’abbatiale de Cormery. Le phénomène concernait presque exclusivement des religieux de l’abbaye – abbés ou officiers – qui étaient probablement inhumés à l’emplacement de la fondation.

De nombreux tombeaux de religieux de Cormery, immortalisés par les dessins de Gaignières, étaient également présents dans la partie orientale de l’abbatiale (voir par exemple le dessin de la tombe de Guillaume de Hotot). L’absence de laïcs n’est pas forcément à interpréter comme le signe d’une faible attractivité funéraire du monastère. La présence de ces tombeaux d’abbés pourrait inversement indiquer que l’espace funéraire du chœur architectural était réservé aux dirigeants du monastère plutôt qu’à ses bienfaiteurs, illustrant ainsi une politique d’inhumation délibérément «restrictive». Si l’on compare avec d’autres monastères bénédictins de Touraine, le constat est très différent, comme à Turpenay qui servit de nécropole aux seigneurs de l’Île-Bouchard à l’époque médiévale.

Les bâtiments monastiques

L’étude de l’espace claustral repose en grande partie sur la confrontation entre les éléments en élévation et les documents iconographiques de l’époque moderne. Un des apports majeurs de cette documentation est l’identification de plusieurs espaces fonctionnels dans un terrain enclos – aujourd’hui transformé en parc – situé au nord-est de l’église et appelé «Grand jardin» sur le plan de 1646 (fig. 3). Le texte du concordat d’entrée dans la congrégation de Saint-Maur évoque la présence des ruines de l’ancien logis abbatial qui auraient gêné la vue des dortoirs. Il s’agit probablement du logement utilisé par l’abbé à l’époque médiévale comme à Tournus, par exemple, où la résidence de l’abbé fut érigée au sein d’une tour annexe au dortoir dès le 12e siècle, avant d’être transférée en dehors de l’espace claustral vers la fin du 15e siècle (Saint-Jean Vitus 2006, vol. 1, p. 396-404). D’autres indices laissent à penser que l’infirmerie et sa chapelle Saint-Benoît étaient également localisées au sein de cet espace avant d’être déplacées dans l’aile nord du cloitre au-dessus des celliers dans l’aile nord du cloître, au cours du 17e siècle.

Les celliers du monastère furent construits au cours du 12e siècle dans l’aile nord du cloître, ce qui constitue une disposition assez originale puisque ceux-ci sont habituellement situés dans l’aile occidentale. La proximité de la rivière au nord que l’on peut supposer navigable jusqu’au 11-12e siècle, et donc utilisable pour le transport des biens, pourrait expliquer cette «anomalie». La présence des jardins, des vergers et des vignes à l’ouest pourrait également avoir influencé la disposition des celliers à proximité. Les clos de vignes situés à proximité de l’abbaye sont représentés sur un plan de 1736 qui illustre l’emprise importante de cette culture autour de l’église paroissiale. La présence de ces vignes est probablement aussi ancienne que celle des celliers puisqu’on retrouve des mentions de cette culture à proximité du cimetière dès le début du 14e siècle dans le cartulaire de Cormery.

Conclusion

Les représentations iconographiques et planimétriques de l’époque moderne constituent une source fondamentale pour l’étude de l’évolution topographique des monastères médiévaux, comme Cormery qui dispose pourtant d’un important patrimoine en élévation. En ce qui concerne les autres établissements bénédictins de Touraine qui sont souvent beaucoup moins bien conservés, ces gravures et ces plans constituent parfois l’unique élément permettant de restituer l’organisation de l’espace et la fonction des bâtiments monastiques, en l’absence d’opérations de fouilles archéologiques.

Bibliographie:

  • Bourasse 1861 = Cartulaire de Cormery, éd. J.-J BOURASSE, Mémoire de la Société Archéologique de Touraine, Tours, 1861 (t. 22) n°9.
  • Mauret-Cribellier 1994 = V. Mauret-Cribellier, « L’abbaye bénédictine Saint-Paul de Cormery (Indre-et-Loire) », in Bulletin de la Société Archéologique de Touraine, 44 (1994), p. 119-144.
  • Saint-Jean Vitus 2006 = B. Saint-Jean Vitus, Tournus : le castrum, l’abbaye, la ville, XIe-XIVe s. et prémices. Analyse archéologique d’un développement monastique et urbain, Thèse de doctorat, Université de Lyon, 2006, 7 vol.
Figure 1. Abbaye Saint-Paul de Cormery, vue cavalière extraite du Monasticon Gallicanum (BnF, ms Latin 11821, planche 162)

Figure 2. Plan des bâtiments de l’abbaye et du monastère de Cormery en 1674 (Archives Nationales/CP/III Indre-et-Loire 6-1). Le nord est à droite.

Figure 3. Plan des bâtiments de l’abbaye et du monastère de Cormery (en 1646 ?) ((Archives Nationales/CP/III Indre-et-Loire 6-2).

Figure 4. « Veüe de l’abbaye et de la ville de Cormery en 1699 […] » (BnF, coll. Gaignières, 5298).