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Jacob Spon et Lyon : la ville comme lieu d’étude et lieu de sociabilité

Par Yves Moreau, Docteur en Histoire, chercheur associé au LARHRA – UMR 5190 (Laboratoire de Recherche Historique Rhône Alpes), Université de Lyon

Figure intellectuelle lyonnaise importante du dernier quart du XVIIe siècle, le médecin Jacob Spon (1647-1685) est connu pour ses travaux sur l’héritage matériel de l’Antiquité dont il a tiré une réputation considérable. En tant qu’antiquaire, Spon n’est pas un cas unique : d’autres savants ont travaillé sur les mêmes objets d’étude. Le jésuite luxembourgeois Alexandre Wiltheim (1604-1684) questionna de la même manière les sources textuelles et matérielles de l’Antiquité (Latteur 2018). Comme la plupart des savants de son temps, Jacob Spon vit et évolue dans un cadre spatial urbain qui est par excellence, un « lieu de savoir », avec ses librairies et ses bibliothèques, ses académies et universités, ses curieux et ses collectionneurs. C’est dans ce milieu que l’antiquaire établit des stratégies relationnelles locales et globales reposant sur la sociabilité savante de la République des Lettres au XVIIe siècle.

Fig. 1: Portrait de Jacob Spon vêtu à l’arménienne, par Mathieu Ogier, Voyage d’Italie, de Dalmatie de Grèce et du Levant, Lyon, Antoine Cellier, 1678, tome I.

Une éducation au contact de l’Antiquité

Né le 13 janvier 1647 à Lyon dans une famille de marchands opulents d’origine allemande, le jeune Jacob a reçu une éducation marquée par la foi calviniste et la passion de l’Antiquité de son père Charles Spon (1609-1684), médecin et helléniste. Après avoir fait ses humanités au Collège de Genève, Spon fils suit les traces paternelles et s’oriente vers la médecine. Il effectue ses études à Montpellier où il obtient son bonnet de docteur le 5 février 1667. Il est agrégé au collège de médecine de Lyon en novembre 1668 lui permettant d’exercer en ville auprès de ses coreligionnaires les plus aisés.

Soucieux de parfaire la culture gréco-latine de son fils, Charles Spon l’envoie à Strasbourg auprès du professeur d’histoire Jean-Henri Boecler. Il y rencontre Charles Patin (1633-1693), médecin et numismate parisien en exil et fils de l’illustre Guy Patin. Une grande amitié se noue entre les deux médecins. Patin l’initie à la numismatique et lui cède une partie des doubles de sa collection de médailles. Spon débute une collection de monnaies antiques qu’il enrichira tout au long de sa vie. Il poursuit sa peregrinatio academica en se rendant à Paris et y joue le rôle d’agent pour son ami Patin. Il fréquente de nombreux médaillistes et antiquaires, parmi lesquels on compte le Lyonnais Pierre de Carcavi (v.1603-1684), garde du Cabinet des médailles du roi. Spon rentre à Lyon en 1671 où, parallèlement à sa pratique de la médecine, il débute son activité d’antiquaire. Ce qu’il considère d’abord comme un otium, une distraction honorable, va progressivement devenir une activité quasi-professionnelle.

Spon et la Recherche des antiquités et curiosités de la ville de Lyon

Parce que la civilisation gréco-romaine est marquée par son caractère urbain, la ville est au XVIIe siècle l’écrin naturel des plus imposants vestiges antiques et Lyon ne fait pas exception. L’antiquarisme de Jacob Spon s’inscrit dans le prolongement des travaux d’érudits locaux sur le passé romain de lyon, comme ceux Guillaume du Choul (v.1496-1560) et de Guillaume Paradin (v.1510-1590). Au temps de Spon, les autorités municipales légitiment leur autorité par une glorification de l’antique Lugdunum. La Table claudienne, découverte en 1529 sur les pentes de la colline de la Croix-Rousse, est accrochée dans la cour de l’hôtel de ville récemment construit. À l’intérieur du bâtiment, un programme iconographique conçu par le père jésuite Claude François Ménestrier et mis en image par les peintres Germain Panthot et Thomas Blanchet célèbrent la cité romaine. L’incendie qui dévasta Lugdunum en 64 apr. J.-C. dont Sénèque s’est fait l’écho (Sénèque, Ad Lucilium, lettre 91) est représenté de manière grandiose dans l’escalier d’honneur.

Jacob Spon s’engage dès 1671 dans la recherche et la transcription méthodique des inscriptions latines de sa ville natale. Ce travail est autant motivé par sa curiosité pour l’histoire de Lugdunum que par son agacement à la lecture de textes anciens, truffés de fautes par la négligence des copistes et des imprimeurs. Elles l’incitent à quitter son cabinet pour vérifier sur le terrain la transcription épigraphique données dans ces œuvres.

Par ce travail minutieux, l’antiquaire se constitue un corpus d’étude qu’il garde dans les cartons de son cabinet avec l’objectif de publier un livre qui viendrait compléter ou corriger l’ouvrage de référence sur le sujet, Inscriptiones antiquae Totius Orbis Romani de Jan Gruter, publié en 1602. Ses investigations aboutissent à l’impression en 1673 des Recherche des antiquités et curiosités de la ville de Lyon qu’il dédicace à Pierre de Carcavi.

Fig. 2: Couverture de Recherche des antiquités et curiosités de la ville de Lyon

Le livre est clairement inspiré des Antiquités de Castres de Pierre Borel publié en 1649 (Borel 1649, cité par Spon p. 212). Dans la préface, Spon, présente sa conception de l’antiquarisme et ses intentions. D’abord, il s’agit de corriger les erreurs de transcription et d’interprétation des inscriptions lyonnaises collationnées par Paradin et Gruter. Spon a aussi l’ambition de rectifier la chronologie de l’histoire universelle et de préciser la suite des règnes des empereurs romains, un travail guère original pour un antiquaire du XVIIe siècle. L’auteur remet en question l’hégémonie des sources textuelles pour l’étude de l’Antiquité en les mettant sur un pied d’égalité avec les traces matérielles. Il y a une raison évidente : ces témoignages parvenus intacts jusqu’au XVIIe siècle n’ont pas été déformés par les fautes des copistes. Ce bouleversement de la hiérarchie traditionnelle des sources lui est reproché plus tard par des théologiens catholiques lorsque l’antiquaire s’engage malgré lui dans la controverse religieuse précédant la révocation de l’édit de Nantes.

La Recherche des antiquités et curiosités de la ville de Lyon dénote une parfaite connaissance des vestiges romains de la région lyonnaise, qu’ils soient inscrits dans l’espace public ou dans les collections particulières de marchands et de curieux. Si l’auteur a pu se documenter sur leur emplacement en lisant ses prédécesseurs lyonnais, il a aussi bénéficié des renseignements donnés par les curieux et érudits locaux pour compléter son recensement.

L’ouvrage s’articule en dix chapitres. Le premier présente l’étymologie du nom de Lugdunum avec un abrégé de l’histoire de Lyon. Les chapitres suivants sont dédiés aux différents quartiers de la ville et à ses monuments les plus emblématiques : la cathédrale Saint-Jean-Baptiste ou l’hôtel de ville. Le chapitre IX élargit l’inventaire épigraphique aux localités proches, dont Vienne, et présente quelques inscriptions. Le dernier chapitre recense les curieux lyonnais et parisiens ainsi que les principaux antiquaires européens.

Les représentations de monuments antiques sont rares : deux gravures du théâtre romain (p. 44) des arches de l’aqueduc du Gier à Saint-Irénée (p. 79) sont introduites. Un troisième monument, le tombeau des Deux-Amants aujourd’hui détruit, est la reproduction d’un dessin de Spon (p. 112).

Fig. 3: Arches de l’aqueduc du Gier non loin de Saint-Irénée, Recherche des antiquités et curiosités de la ville de Lyon, p. 79.

Ses dessins, calques ou retranscriptions s’attachent avant tout à la valeur informationnelle des vestiges antiques. On en trouve de nombreux exemples dans ses œuvres. Dans le second tome de la description de son Voyage d’Italie, de Dalmatie de Grèce et du Levant publiée en 1678, le lecteur découvre une carte du site de Delphes peu fidèle à la réalité topographique, mais lui indiquant les lieux les plus pittoresques des environs (Spon 1678, t. II, p. 55).

Fig. 4:  Carte du site du sanctuaire de Delphes, Voyage d’Italie, de Dalmatie, de Grèce et du Levant, tome II, p. 55.

Une méthode d’étude des vestiges antiques

Par la fréquentation quotidienne de l’Antiquité par ses traces matérielles Spon débute une réflexion sur son objet d’étude dont la préface de Recherche des antiquités et curiosités de la ville de Lyon marque le début. Ce cheminement réflexif aboutit en 1679 à une définition ce ce qu’il nomme « antiquarisme » ou « archéographie » publiée dans sa grande œuvre : Miscellanea eruditae antiquitatis :

“L’Archéographie est le fait de montrer ou de connaître les vestiges antiques par lesquels les Anciens se sont appliqués à diffuser la Religion, l’Histoire, la Politique et les autres arts ou sciences de leur temps, et à les transmettre à la postérité.” (Spon 1679, préface, traduction du latin)

L’auteur énumère huit sciences permettant d’étudier l’Antiquité : la numismatique, l’épigraphie, l’architecture, l’iconographie, la glyptographie (science des gemmes), la toreumatographie (science des bas-reliefs), la bibliographie (sciences des manuscrits), et l’angeiographie (science des instruments). Cette étude se fonde sur l’expérience médicale où le médecin doit d’abord ausculter le malade avant d’établir un diagnostic et de délivrer un remède.

Prenons pour exemple une dissertation consacrée à la Maison Carrée de Nîmes publiée dans son livre Recherches curieuses d’antiquités, publié à Lyon en 1683 (Spon 1683, p. 159-168). La Maison Carrée avait été acquise par les Augustins en 1670 (Caillat 2013, p. 45-46). Spon écrit: « Je veux tâcher de faire connaître aux Curieux ce que c’était et à quel usage était destiné cet ancien édifice de Nîmes, qu’on appelle vulgairement la Maison quarrée ».

Fig. 5 : Gravure de la Maison Carrée de Nîmes et de Notre-Dame-de-la-Vie à Vienne, dans Jacob Spon, Recherches curieuses d’antiquités, Lyon, Thomas Amaulry, 1683, p. 159.

Jacob Spon débute sa dissertation en donnant une description et les mesures du monument. Il reprend les interprétations données par les antiquaires locaux Jean Poldo d’Albenas et Jacques Deyron pour les disqualifier. Leur proposition de voir dans la Maison Carrée une basilique judiciaire n’est guère convaincante à ses yeux. Il avance sa propre interprétation et la justifie par l’étude d’éléments architecturaux en s’appuyant sur le De re architectura de Vitruve :

“Je dis sans balancer que cette Maison quarrée n’était autre chose qu’un Temple bâti par les ancien Romains à la manière de leurs Temples quarrez longs, comme font ceux d’Athènes, de Minerve et de Thésée. (…) Ce qui marque plus précisément que c’est un temple, c’est le fronton de la façade, qui est ce que les appelaient αετοί, les Aigles.” (Spon 1683, p. 161)

Spon avoue cependant sa difficulté à attribuer le monument à un dieu particulier, puisqu’aucune inscription ni bas-relief ne l’indique. Il penche pour un temple dédié à Jupiter puisqu’on désigne traditionnellement ce bâtiment par « capitole » à Nîmes depuis longtemps. Mais étant incertain, il n’écarte pas d’autres hypothèses en particulier celle d’une dédicace à Hercule ou à un Héraclide. Il conclut sa dissertation par trois pages sur un monument similaire de Vienne, le temple d’Auguste et de Livie qui est à l’époque une église connue sous le nom Notre-Dame-de-la-Vie. Les historiens dauphinois pensaient qu’il s’agissait de l’antique Prétoire de Pilate, exilé selon la tradition dans la région. Spon se range à cet avis et le considère comme un ancien temple où la justice a pu être exercée (Spon 1683, p. 168).

La ville : lieu d’échanges, lieu de savoir, lieu de sociabilité

Selon l’expression de Christian Jacob, la ville est un « lieu de savoir », un espace ou s’élaborent, se transmettent et circulent les savoirs par ses acteurs individuels ou collectifs à travers leurs échanges formels et informels (Jacob 2014). L’activité savante de Jacob Spon s’inscrit dans ce cadre urbain, tout en le dépassant par ses relations épistolaires et ses voyages.

L’antiquaire est, entre 1673 et sa mort en 1685, l’une des principales figures intellectuelles de Lyon. Son cabinet est son lieu de travail dont on connait quelques détails par ses publications et sa correspondance. Spon vit avec ses parents dans un appartement de la rue du Mulet. Il dispose d’une bibliothèque partagée avec son père et d’une collection d’artefacts antiques essentiellement composée de médailles. Il y accueille à l’occasion ses amis lettrés comme son ami Nicolas Chorier, historien et avocat viennois.

Jacob Spon côtoie à Lyon de nombreux curieux lyonnais qu’il affirme connaître presque tous (Spon 1673, p. 204-206 ; cf.  Pérez – Guillemain 1993). L’antiquaire a toujours été attiré par les « curiosités » antiques ou modernes, qu’elles soient artéfactuelles ou naturelles. On désigne par « curiosité » le goût d’étudier et de collectionner ce qui sort de l’ordinaire (Spon 1674 ; cf. Moreau 2020), et Lyon ne manquait pas de curieux au XVIIe siècle. Il en publie une liste dans la Recherche des antiquités et curiosités de la ville de Lyon. Vingt-neuf curieux sont recensés en 1673, et il donne pour chacun leur localisation et la nature de leurs collections en insistant sur les plantes, les tableaux et les antiquités. Cette liste sera complétée par Spon dans son exemplaire personnel en vue d’une nouvelle édition (Jean-Baptiste de Montfalcon les inclut dans son édition commentée de l’ouvrage en 1857). La liste n’est cependant pas exhaustive : par exemple, l’archevêque de Lyon Camille de Neuville de Villeroy qui possède l’une des plus belles bibliothèques de la ville n’est pas mentionné. Cette liste est à considérer comme un annuaire des cabinets ouverts à la visite que Spon destine aux voyageurs de passage à Lyon. L’auteur y adjoint deux autres listes : l’une des curieux parisiens que lui a fourni son ami numismate Jean Foy-Vaillant, et l’autre des antiquaires d’Europe classés par ville. Cette dernière s’avère intéressante car elle révèle la connaissance, réelle ou rapportée, de ces savants et curieux par Spon.

L’antiquaire fréquentait deux pôles géographiques où circulaient les savoirs : le collège des jésuites et les cercles lettrés de la place Bellecour.

Bien que protestant, l’antiquaire a été un familier du père François d’Aix de La Chaize (1624-1709) avant qu’il ne soit nommé confesseur du roi en 1675. La dédicace de sa relation de son voyage au jésuite témoigne de l’affection qu’il lui portait. Recteur de l’établissement et numismate averti, La Chaize entretenait une importante collection personnelle de médailles antiques et fonda le médaillier du collège (Guillemain 2009).

Du côté de Bellecour, Spon avait ses entrées dans les assemblées réunissant chaque semaine tout ce que Lyon comptait d’érudits. Parmi celles-ci, le cercle du trésorier de France honoraire Baptiste Pianello de la Valette (1602-1685) était le plus réputé. Il était un familier de l’intendant du Lyonnais François Dugué de Bagnols (1665-1682) et de son successeur André III Lefèvre d’Ormesson (1682-1684) qui aimaient rassembler autour d’eux les savants locaux. Dans une lettre du 15 novembre 1682 adressée à l’abbé Claude Nicaise, Spon fait état d’un dîner organisé par l’intendant d’Ormesson dans son hôtel particulier de la place Bellecour où il fut invité. Il fit apporter un plat en argent conservé dans la collection du riche marchand soyer Octavio Mey, qu’il expliqua aux convives. Il en a publié pas moins de trois commentaires dans ses œuvres (Moreau 2011).

À l’échelle européenne, Jacob Spon entretient depuis le début des années 1670 une large correspondance centrée sur l’Antiquité. Notre dernier recensement a dénombré 464 lettres et 89 correspondants. L’analyse spatiale de cette correspondance révèle que les réseaux épistolaires de l’antiquaire se calquent sur les principaux centres urbains d’Europe : Paris, Amsterdam, Londres, Venise, Milan, et même au-delà, jusqu’à Alep. Ce caractère urbain et intellectuel manifeste la « cospatialité » (Lévy, Lussault 2013) de la République des Lettres, c’est à-dire une superposition entre un espace géographique ancré, concret où agissent et interagissent les savants, et un espace d’échange informationnel, mobile et abstrait circulant par l’épistolarité et l’imprimé. Les centres urbains sont les lieux de connexion de ces espaces où se créent, se produisent et se diffusent les savoirs.

En douze ans d’activité, Jacob Spon a publié dix ouvrages sur l’Antiquité qui ont largement contribué à sa réputation de savant antiquaire. L’accueil enthousiaste que l’Europe savante donne en 1678 à la relation de son voyage en Grèce lui donne l’occasion de nouer de nouveaux contacts, en particulier avec l’abbé dijonnais Claude Nicaise (1623-1701), l’un des principaux épistoliers de la République des Lettres.

Par sa position géographique et sa vocation commerciale, Lyon est une ville-étape incontournable pour les échanges savants entre Europe du nord et Méditerranée. Spon bénéficie de cette situation et devient un intermédiaire d’importance de la République des Lettres. Du reste, Spon a aussi l’occasion de rencontrer les plus éminents savants lors de leur halte à Lyon et d’enrichir son réseau de relations (Bertrand 2014). Ainsi fait-il connaissance du bénédictin dom Jean Mabillon en 1682 chez l’imprimeur-libraire Jean Anisson qui l’héberge.

La santé de Jacob Spon a toujours été fragile en raison d’une tuberculose chronique qui l’empêchait souvent d’exercer la médecine. Comme l’antiquarisme nécessite des fonds réguliers, il a dû trouver d’autres sources de revenus et opère au début des années 1680 une forme de professionnalisation dans ce domaine. Elle passe d’abord par l’expertise d’artefacts antiques, Spon n’hésitant pas à monnayer ses connaissances auprès de ses contacts pour interpréter inscriptions et médailles (Le Clerc 1726, p. LVIII). Il s’engage dans un travail d’éditorialisation par la publication de traductions et joue le rôle de médiateur pour ses correspondants auprès des imprimeurs-libraires lyonnais installés près de son domicile (Moreau 2019). L’antiquaire étant le seul à Lyon à connaitre le grec ancien, il est embauché par Jean Anisson pour corriger les épreuves du Glossarium ad Scriptores Mediae et Infimae Graecitatis de Charles Du Cange (Du Cange 1688 ; Paris, Bibliothèque nationale, ms fr 9503). Un autre imprimeur-libraire, Marc Mayer, curieux de médailles, l’engage le 2 novembre 1682 à travailler sur la correction d’une réédition d’un antique ouvrage de monnaies de Filippo Paruta (Paruta 1697) contre 25 Louis d’or (Lyon, Archives départementales du Rhône, BP 3994. « Copie de la reconnaissance que me fit feu Mr Jacob Spon pour les livres que je lui pretai le 2e novembre 1682 »). Son exil en septembre 1685, quelques semaines avant la révocation de l’édit de Nantes met un terme à ces activités.

Pour conclure, l’intérêt de Jacob Spon pour l’archéologie s’inscrit dans la continuité d’antiquaires lyonnais l’ayant précédé. Plus qu’une simple distraction, l’antiquarisme est devenu une véritable activité professionnelle avec ses échanges matériels et informationnels qu’attestent sa correspondance et son œuvre imprimée. Ces textes sont d’un grand intérêt pour comprendre comment s’élabore et se diffuse un savoir critique sur l’Antiquité à partir d’une ville de second rang comme Lyon. Jacob Spon s’est appuyé sur les atouts de sa ville natale : une situation géographique privilégiée et des imprimeurs-libraires actifs dans l’édition savante. Depuis une vingtaine d’années, l’historiographie a permis de mettre en lumière la vie intellectuelle lyonnaise dans la seconde moitié du XVIIe siècle, mais une étude comparée avec d’autres centres urbains de taille équivalente permettrait de mieux cerner ses spécificités au sein de la République de Lettres. Les écrits de Jacob Spon peuvent y contribuer utilement.

Sources

P. Borel, Les antiquitez, raretez, plantes, minéraux & autres choses considérables de la ville et comté de Castres. Avec le role des principaux cabinets et autres raretez de l’Europe, comme aussi le catalogue des choses rares, Castres, Arnaud Colomiez, Imprimeur du Roy, & de la Ville, 1649.

Charles du Fresne Du Cange, Glossarium ad scriptores mediae et infimae graecitatis, Lugduni, Sumptibus Anissonorium, Joannis Posuel, et Claudii Rigaud, 1688, 2 volumes.

L.-J. Le Clerc, Bibliothèque du Richelet ou abrégé de la vie des auteurs citez dans ce dictionnaire, par l’abbé Laurent-Josse Le Clerc, Lyon, 1726.

F. Paruta, La Sicilia di Filippo Paruta descritta con medaglie, e ristampata con aggiunta da Leonardo Agostini. Hora in miglior ordine disposta da Marco Maier…, in Lione, appresso Marco Maier in Bellecour, 1697.

J. Spon, Recherche des antiquités et curiosités de la ville de Lyon, ancienne colonie des Romains & capitale de la Gaule celtique. Avec un Mémoire des principaux antiquaires & curieux de l’Europe, A Lyon, de l’imprimerie de Jacques Faeton, 1673.

J. Spon, Discours sur une pièce antique et curieuse du cabinet de Jacob Spon, à Lyon, de l’imprimerie de Jacques Faeton, 1674.

J. Spon, Voyage d’Italie, de Dalmatie, de Grèce et du Levant, fait aux années 1675 & 1676 par Jacob Spon docteur medecin de Lyon, & George Wheler gentilhomme anglois, A Lyon, France, chez Antoine Cellier le fils, ruë Merciere, à la Constance. M. DC. LXXVIII. Avec privilege du Roy, 1678.

J. Spon, Miscellanea eruditae antiquitatis, sive Supplementi Gruteriani liber primus, in quo eruditiora et intellectu difficiliora marmora a Grutero enodantur ; statuis, gemmis, nummis & toreumatis illustrantur, Francfort-Venise, Jean Hermann Widerholdt-Francesco Rota, 1679.

J. Spon, Recherches curieuses d’antiquité, contenues en plusieurs dissertations sur des médailles, bas-reliefs, statues, mosaïques et inscriptions antiques, Lyon, Thomas Amaulry, 1683.

Bibliographie
G. Bertrand, La place du voyage dans les sociétés européennes (XVIe-XVIIIe siècle), Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest. Anjou. Maine. Poitou-Charente. Touraine, 121‑3, 2014, p. 7‑26.

G. Caillat, La place des monuments antiques dans l’espace public à l’époque moderne : l’exemple de Nîmes, in V. Krings et F. Pugnière (dir.), Nîmes et ses Antiquités. Un passé présent XVIe-XIXe siècle, Bordeaux, 2013, p. 35-52.

 J. Guillemain, Le médaillier du collège de la Trinité sous le règne de Louis le Grand, in Claude-François Ménestrier : les jésuites et le monde des images, actes du colloque de Grenoble et Lyon (27-29 octobre 2005), Grenoble, 2009, p. 39‑62.

C. Jacob, Qu’est-ce qu’un lieu de savoir ?, Marseille, OpenEdition Press, coll. Encyclopédie numérique, 2014. En ligne

O. Latteur, Sources et méthodes d’un antiquaire du XVIIe siècle : le jésuite Alexandre Wiltheim (1604-1684), « père de l’archéologie luxembourgeoise », Les Carnets du LARHRA, 1-2017-2018. En ligne

J. Lévy, M. Lussault, Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Paris, 2e édition, 2013.

Y. Moreau, Jacob Spon et les arts : un savant protestant dans la République des Lettres, Chrétiens et sociétés XVIe-XXIe siècles, Numéro spécial I, 21 mars 2011, p. 91‑113.

Y. Moreau, « Qualche novità litteraria » : la correspondance épistolaire entre Jacob Spon (1647-1685) et Antonio Magliabechi (1633-1714), Arborescences, 9-2019, p. 81‑94.

Y. Moreau, La curiosité de Jacob Spon (1647-1685), du connoisseur au savant, 2020. En ligne

M.-F. Pérez, J. Guillemain, Curieux et collectionneurs à Lyon d’après le texte de Spon (1673), in Jacob Spon : un humaniste lyonnais du XVIIe siècle, Lyon, Paris, 1993, p. 31‑50.